Interview dépêche – Ebay

14:48 20 août in Contrefaçon

Interview dépêche ebay

Paru dans la Dépêche entreprises le 20 août 2008

Par trois jugements rendus le 30 juin dernier, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Ebay à verser près de 40 millions d’euros à la société LVMH ainsi qu’à différentes marques de son groupe.

Pourriez-vous nous résumer les termes du litige ayant opposé ces sociétés ?

La problématique était relativement simple. Les sociétés du groupe LVMH reprochaient au célèbre site de vente aux enchères en ligne de mettre à disposition des internautes d’une part des produits ne pouvant être vendus que par des distributeurs agréés et, d’autre part, des contrefaçons des différentes marques de luxe du groupe. Elles ont donc cité Ebay en Justice afin qu’elle réponde de ces agissements.

Ebay a donc été condamnée pour contrefaçon ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce n’est pas sur le fondement de la contrefaçon qu’Ebay a été condamnée mais sur celui de la responsabilité civile « classique », c’est-à-dire la responsabilité qu’encourt tout individu qui cause un préjudice à autrui par sa faute ou sa négligence. Les juges ont, en effet, estimé qu’Ebay avait manqué à son obligation de s’assurer que son activité ne générait pas d’actes illicites, en l’espèce d’actes de contrefaçon. Ainsi, pour le Tribunal, le site de ventes aux enchères a commis une grave négligence en s’abstenant de mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre la contrefaçon sur son site. Ebay faisait pourtant valoir qu’un certain nombre de dispositifs anti-fraude avaient été instaurés mais ceux-ci n’ont manifestement pas convaincu les juges, qui ont retenu la responsabilité civile de cette dernière. Un tel fondement juridique n’a, en réalité, rien d’étonnant. Rappelons qu’Ebay n’est qu’une plate-forme permettant de rapprocher des vendeurs et des acheteurs en vue de leur permettre de conclure une vente à distance par voie électronique. Ebay n’intervient pas directement dans la vente si ce n’est pour prélever une commission sur chaque transaction en sa qualité d’intermédiaire. A ce titre, Ebay ne peut être considérée comme un vendeur et, a fortiori, comme un contrefacteur. C’est donc en sa qualité d’intermédiaire qu’elle a été condamnée.

Comment peut-on expliquer que la condamnation soit aussi lourde?

Il est vrai que le montant des dommages et intérêts est colossal. Pour parvenir à ces chiffres, les juges ont suivi l’analyse effectuée par un expert désigné par les demandeurs, qui se fondait sur des données chiffrées provenant d’Ebay. Il y a, cependant, quelque chose d’étonnant dans la méthode retenue par le Tribunal pour évaluer le préjudice subi. Les juges consulaires ont appliqué des coefficients multiplicateurs comme il est possible de le faire en matière de contrefaçon. Or, je le rappelle, Ebay n’a pas été condamnée pour contrefaçon mais pour négligence fautive. Cette méthode était donc inapplicable en l’espèce.

En quoi ces trois décisions sont-elles importantes ?

L’apport majeur des ces trois décisions est qu’elles viennent clarifier le statut juridique d’Ebay. Dans ces trois affaires, Ebay se défendait en affirmant, notamment, qu’elle ne jouait qu’un rôle d’hébergeur en ce sens qu’elle permettait seulement à ses utilisateurs de stocker sur son site des offres de ventes de produits et services. Le but d’une telle argumentation était de se placer sous le régime de responsabilité limitée prévu par la loi pour la confiance dans l’économie numérique au profit des prestataires d’hébergement. Malheureusement pour Ebay, cette argumentation n’a nullement prospéré devant le Tribunal. Les juges ont, en effet, constaté qu’Ebay ne se contentait pas de fournir une prestation d’hébergement à ses utilisateurs mais qu’elle assurait également un rôle de courtier en rapprochant vendeurs et acheteurs. Et pour le Tribunal de commerce, ces prestations d’hébergement et de courtage sont indissociables. Les juges ont considéré que la prestation de stockage n’était en réalité qu’accessoire et qu’elle n’avait d’autre but que d’assurer le courtage permettant à Ebay de se rémunérer…Sur ce point, l’on ne peut qu’approuver la position adoptée par le Tribunal.

Quel peut être l’impact de ces décisions en France? Vont-elles faire jurisprudence ?

Il est important de préciser que ces décisions ne sont pas définitives puisque Ebay en a interjeté appel. La Cour d’appel peut parfaitement réformer ces jugements si elle n’a pas la même vision du dossier que le Tribunal. Il existe d’ailleurs des précédents en Belgique et aux Etats Unis, où deux juridictions ont estimé, dans des affaires similaires, que ce n’était pas à Ebay de « jouer les gendarmes » mais aux marques concernées. Il convient donc d’attendre la décision de la Cour pour savoir si ces jugements feront jurisprudence.

 

Michaël MALKA,
Avocat,
chargé d’enseignement à l’ESC