La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2025 (n° 23-81.084), est venue apporter une nouvelle précision sur la délicate question du point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de prise illégale d’intérêts. Cet arrêt, promis à une large diffusion, intéresse tout particulièrement les praticiens du droit pénal public, tant il vient resserrer l’exigence de motivation imposée aux juridictions du fond lorsqu’elles entendent qualifier ce délit d’infraction continue.
L’affaire soumise à la Haute juridiction concernait une élue régionale, vice-présidente chargée de l’administration générale et des marchés publics, qui présidait la commission chargée d’attribuer les logements relevant du quota régional. En décembre 2004, celle-ci obtient un logement social issu de ce quota, sans passer par la procédure habituelle et sans en informer la commission. Elle conservera la jouissance de ce logement jusqu’en janvier 2022. Poursuivie pour prise illégale d’intérêts, elle soulève devant la cour d’appel la prescription de l’action publique, soutenant que le délai devait courir à compter de la date d’attribution du logement.
La cour d’appel de Paris rejette l’argument et la condamne, considérant que l’infraction avait un caractère continu dès lors que la prévenue avait conservé le bénéfice du logement jusqu’à 2022. La Chambre criminelle n’a pas suivi ce raisonnement et casse l’arrêt, au motif que les juges du fond n’avaient pas caractérisé avec précision le maintien, pendant toute cette période, d’un pouvoir de surveillance ou d’administration sur l’opération ayant procuré l’intérêt litigieux.
C’est là le cœur de la solution : pour que la prise illégale d’intérêts soit qualifiée d’infraction continue — et que la prescription soit retardée jusqu’à la cessation de la situation — il faut établir que l’auteur a conservé, tout au long de la période, un pouvoir effectif de surveillance ou d’administration sur l’opération. À défaut, l’infraction doit être regardée comme instantanée, et la prescription court dès la prise de l’intérêt.
La Cour rappelle ainsi, en application de l’article 432-12 du code pénal, que le délit de prise illégale d’intérêts suppose un cumul entre, d’une part, la détention d’un intérêt personnel dans une affaire et, d’autre part, l’exercice de fonctions impliquant la surveillance ou l’administration de cette affaire. Si l’un de ces éléments disparaît, le délit n’est plus constitué dans sa continuité. En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas recherché si la prévenue, après avoir quitté ses fonctions, conservait un quelconque pouvoir de contrôle sur la commission d’attribution des logements. Or, sans ce lien fonctionnel, la jouissance du logement ne saurait prolonger la commission du délit.
La Chambre criminelle reproche également aux juges du fond de ne pas avoir examiné l’existence d’une manœuvre de dissimulation susceptible d’avoir différé la découverte des faits — élément essentiel lorsqu’une prolongation du délai de prescription est en jeu. Ce contrôle strict témoigne d’une volonté de la Cour de cassation d’encadrer rigoureusement la qualification d’infraction continue, dont la portée est parfois instrumentalisée pour écarter trop facilement la prescription.
L’arrêt du 25 juin 2025 s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence exigeante : le simple maintien d’un avantage ne suffit pas à caractériser une infraction continue si l’auteur n’exerce plus aucune autorité sur l’opération concernée. La Haute juridiction invite donc les juges à motiver concrètement leur décision sur ce point, sous peine de censure.
Sur le plan pratique, cette décision présente un double intérêt. D’une part, elle constitue une garantie procédurale pour la défense, en imposant que la qualification d’infraction continue repose sur des éléments objectifs et précisément caractérisés. D’autre part, elle appelle à une vigilance accrue des élus et agents publics : conserver un avantage obtenu dans le cadre de leurs fonctions peut prolonger le risque pénal, mais encore faut-il qu’ils conservent un pouvoir effectif sur l’opération concernée.
En définitive, la Cour de cassation réaffirme ici un principe de sécurité juridique : la prescription du délit de prise illégale d’intérêts ne saurait être repoussée que lorsque la situation d’intérêt illégal demeure sous le contrôle de son auteur. Cet arrêt du 25 juin 2025 vient ainsi renforcer la cohérence de la jurisprudence sur la notion d’infraction continue et consolider la motivation des décisions rendues en matière de droit pénal de la probité.