Photographies originales d’un évènement d’actualité : tweeter n’est pas céder !

09:01 22 août in droit à l'image, Numérique

Photographies originales d’un évènement d’actualité : tweeter n’est pas céder !

A propos du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression dans le cadre du droit à l’information du public.

Les médias ont pris l’habitude de venir puiser, au sein de Twitter ou d’autres réseaux sociaux, des photographies prises à l’occasion d’un évènement d’actualité et postées par leur auteur sur le réseau social.

Ainsi, il n’est pas rare de voir un article consacré à une catastrophe naturelle illustré par une série de liens de type « framing » montrant le cadre de Twitter dans lequel apparaît la photographie de l’évènement et le tweet qui l’accompagne.

Cette pratique est-elle pour autant licite ? L’auteur de la photographie peut-il s’y opposer ?

Avant de répondre à cette question, il convient de rappeler qu’une photographie est protégeable par le droit d’auteur dès lors qu’elle est originale, c’est à dire lorsqu’elle résulte d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (Cass. soc. 24 avril 2013, n°10-16063).

L’auteur jouit sur cette œuvre « du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (Article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Ce monopole de droit exclusif réservé à l’auteur heurte de front la logique communautariste des réseaux sociaux, laquelle encourage les membres à réutiliser à foison les contenus publiés.

Les conditions générales de Twitter prévoient ainsi expressément : « En soumettant, postant ou publiant des contenus sur ou par le biais des services, vous nous accordez une licence mondiale, non-exclusive, gratuite, incluant le droit d’accorder une sous-licence, d’utiliser, de copier, de reproduire, de traiter, d’adapter, de modifier, de publier, de transmettre, d’afficher et de distribuer ces contenus sur tout support par toute méthode de distribution connu ou amené à exister. Cette licence signifie que vous nous autorisez à mettre vos Tweets à la disposition du reste du monde et que vous permettez aux autres d’en faire de même. »

En acceptant ces conditions générales, l’utilisateur de Twitter consent donc au réseau une sorte de « super licence » qui autorise ce dernier ainsi que les autres membres du réseau, à faire une utilisation illimitée des contenus publiés.

Toutefois, les mêmes conditions générales précisent par ailleurs « vous conservez vos droits sur tous les contenus que vous soumettez, postez ou publiez sur ou par l’intermédiaire des services. »

Il faut naturellement en déduire que la licence susvisée, dont la validité pourrait du reste être contestée en droit français, s’applique exclusivement au sein du réseau social.

Aussi, un membre de Twitter ne saurait se prévaloir des conditions générales pour réutiliser à sa guise les contenus publiés sur un autre support.

Et pour cause, Twitter ne saurait déposséder totalement un auteur des droits qu’il détient sur son œuvre, au profit d’un tiers, au seul motif que ce dernier est membre de son réseau.

Admettre l’inverse serait une hérésie juridique tant au regard du droit d’auteur français que du copyright américain, comme l’ont appris à leurs dépens l’AFP et l’agence GETTY en se voyant condamnées à régler 1,2 millions de dollars par un juge New Yorkais pour avoir réutilisé sans autorisation les photographies publiées sur Twitter par le photojournaliste Daniel Morel (Daniel Morel v AFP 23 nov. 2013).

S’il ne semble pas encore exister de décision analogue en France, il fait peu de doute que la solution retenue serait identique, à tout le moins sur le principe de la responsabilité de l’organisme de presse.

En effet, il serait vain pour ce dernier d’invoquer les dispositions de l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoient un certain nombre d’exceptions au monopole légal conféré par le droit d’auteur.

Outre le fait qu’aucune de ces exceptions ne correspond parfaitement à l’hypothèse étudiée, il est fort probable que la Cour de cassation ferait prévaloir le droit d’auteur sur le droit du public à l’information, comme elle l’a fait dans l’affaire Utrillo.

Dans ce dossier, les juges du fond avaient condamné la société France 2 pour avoir reproduit, dans un reportage de deux minutes diffusé au journal télévisé, douze toiles de l’artiste Maurice Utrillo et ce, dans le but d’informer le public qu’une exposition lui était consacrée.

La Cour de cassation a approuvé le raisonnement suivi par les juges du fond qui, « pour rejeter le grief d’atteinte au droit du public à l’information et à la culture (…) énonce(nt) à bon droit que le monopole légal de l’auteur sur son œuvre est une propriété incorporelle, garantie au titre du droit de toute personne physique ou morale au respect de ses biens, et à laquelle le législateur apporte des limites proportionnées, tant par les exceptions inscrites à l’article L 122-5 du cpi que par l’abus notoire prévu à l’article L 122-9 du même code » (Cass. civ 1, 13 novembre 2003, n°01-14385).

L’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH) qui protège la liberté d’expression ne serait pas d’un plus grand secours pour étayer une argumentation fondée sur le droit à l’information du public, au regard de l’arrêt Ashby Donald et a. c/ France (CEDH 10 janvier 2013, n°36769/08).

Dans cette affaire, la CEDH a également fait prévaloir le droit de propriété, tel qu’il résulte de l’article 1er du protocole 1 et lequel inclut la propriété intellectuelle, sur la liberté d’expression et le droit à l’information du public.

Il s’agissait en l’espèce de savoir si la condamnation, au titre de la contrefaçon, de photographes qui avaient méconnu les droits d’auteur de créateurs de défilé de mode constituait ou non une ingérence disproportionnée au regard de la liberté d’expression.

Si la CEDH a admis que les requérants pouvaient effectivement bénéficier d’une liberté d’expression, qui « constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique », elle a néanmoins rappelé que la protection « des droits d’autrui » pouvait tenir en échec cette liberté fondamentale et ce, après avoir relevé que la démarche des requérants « était avant tout commerciale ».

Ces affaires illustrent parfaitement le pragmatisme et la lucidité dont les juges font preuve en la matière.

Le photographe doit pouvoir protéger son effort créatif même face à l’intérêt du public à accéder à son œuvre.

Les droits des photographes sont trop souvent bafoués sous le prétexte fallacieux du besoin impérieux d’immédiateté que requiert notre société de l’information.

Fort heureusement, face à ce torrent d’informations, le barrage du droit de propriété ne semble pas prêt de céder.