10:08 31 mars in e-commerce, Numérique

La marque vente-privée est finalement jugée distinctive

La Cour d’appel de Paris vient d’infirmer le jugement du 28 novembre 2013 qui avait annulé la marque vente-privée.com pour défaut de distinctivité.

Dans son arrêt du 31 mars 2015, la Cour si cette marque était dépourvue de caractère distinctif au moment de son dépôt, elle l’avait cependant et indéniablement acquis par l’usage au sens de l’article 3 de la directive (CE) n° 89/104 du 21 décembre 1988, codifiée par la directive (CE) n° 2008/.95 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008.

Ainsi la cour rappelle que selon l’article 3 de la directive communautaire, une marque est susceptible d’être déclarée nulle non seulement si elle est composée exclusivement de signes usuels pour désigner les produits ou services visés à son dépôt, mais encore si elle est par elle-même dépourvue de caractère distinctif.

« Considérant que le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au regard de tous ses éléments constitutifs pris dans leur ensemble au jour de son dépôt au regard des produits et/ou services désignés et du public auquel les produits ou services s’adressent ;

Considérant qu’il n’est pas sérieusement contesté (les écritures de la société Showroomprive.com ne contiennent aucune motivation sur ce point) que la question de la distinctivité de la marque litigieuse ne se pose que pour les services de la classe 35 cités « en particulier » dans le dispositif du jugement déféré, celle-ci possédant à l’évidence un caractère arbitraire pour tous les autres produits et services de cette classe visés à l’enregistrement, lesquels sont sans aucun rapport avec l’activité de ventes privées sur internet ;

Considérant qu’il n’est pas non plus sérieusement contesté que les termes « vente privée », au singulier ou au pluriel, sont – ainsi que le souligne M. le Professeur Jérôme Passa dans l’avis produit par la société appelante -, utilisés en langue française et connus du public comme visant des ventes ponctuelles proposées à un cercle déterminé d’acheteurs potentiels – invités, abonnés, membres, adhérents…soit à des personnes remplissant une condition d’appartenance à un groupe, peu important que ces personnes soient le cas échéant en nombre très élevé, et que ce concept a été adapté au Web où il s’y est installé plus récemment ; que la société Showroomprive.com ne justifie pas de développement significatif de ce concept sur Internet avant son introduction en 2001 par la société Vente-privee.com, avec la création de son site internet éponyme ; qu’elle démontre néanmoins que l’expression est utilisée par d’autres sociétés pour des ventes privées en ligne, même-si celles-ci, compte tenu de l’ampleur de la promotion dont elles bénéficient et de l’ouverture du cercle des acheteurs potentiels auxquels elles s’adressent, s’apparentent davantage à des « ventes événementielles », expression utilisée par la société Vente-privee.com pour décrire son activité ;

Considérant que, si, comme le relève la société appelante, la présence du tiret et l’absence d’accent dans l’expression reprise par la marque litigieuse apparaissent inhabituelles et incorrectes en langue française, leur association à l’ajout de l’extension « .com », qui donne à la marque la forme d’un nom de domaine, renvoie implicitement, sans pour autant en faire un signe générique, à un service de ventes privées en ligne ; que le tribunal a donc à juste titre retenu qu’au regard des services de promotion des ventes pour le compte des tiers, de présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail et des services de regroupement pour le compte de tiers de produits et de services, notamment sur un site Web marchand, désignés à l’enregistrement, la marque litigieuse était à la date de son dépôt, compte tenu de son caractère usuel et descriptif, dépourvue de caractère distinctif au regard des exigences de l’article L711-2, a) et b) du code de la propriété intellectuelle ; »

sur l’acquisition du caractère distinctif par l’usage :

Considérant que la société Vente-privee.com prétend qu’en tout état de cause, l’usage intensif et notoire de la marque verbale « VENTE-PRIVEE.COM » depuis 2001 jusqu’à ce jour lui confère un caractère distinctif ; que, réfutant la motivation des premiers juges, elle fait valoir que le caractère distinctif d’une marque peut s’acquérir par l’usage d’une autre marque ou d’un signe éponyme autrement qu’à titre de marque et qu’en tout état de cause, l’usage d’un signe autrement qu’à titre de marque peut se confondre avec l’exploitation de ce signe en tant que marque ; qu’elle réfute également les autres arguments de la société Showroomprive.com ci-après exposés et s’attache à démontrer, à partir des critères posés par l’arrêt de la CJCE Windsurfing Chiemsee du 4 mai 1999 (aff. C-109/97), que le signe verbal litigieux a acquis un caractère distinctif par l’usage en tant que marque.

Que la société Showroomprive.com prétend à titre liminaire que l’usage postérieur au dépôt n’est pas pertinent pour apprécier l’acquisition du caractère distinctif ; qu’elle soutient à titre principal que les conditions d’acquisition de la distinctivité par l’usage ne sont pas réunies, d’une part, parce que, s’agissant d’un signe qui dans le langage courant, est la désignation nécessaire d’un service ou du secteur d’activité éponyme et dont l’appropriation porte atteinte aux libertés fondamentales d’entreprise et d’expression, de sorte qu’il n’est pas susceptible, au départ, de constituer une marque, et, d’autre part, parce qu’il n’a pas été utilisé à titre de marque ; qu’elle ajoute, à titre subsidiaire, que la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, au regard des critères posés par l’arrêt Windsurfing, n’est pas rapportée ;   Considérant, ceci exposé, qu’interprété à la lumière de l’article 3, § 3, de la directive sur les marques, selon laquelle « une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle a été enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les Etats peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement », l’article L711-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle précité, dont les termes sont généraux, permet d’apprécier l’acquisition, par une marque initialement dépourvue de caractère distinctif, de sa distinctivité, en tenant compte de l’usage qui en a été fait après l’enregistrement ; qu’ainsi, lorsqu’il est demandé comme en l’espèce à titre principal la nullité de marque, il convient de se placer à la date où le juge statue, de sorte que, contrairement à ce que soutient la société Showroomprive.com, les pièces de la société Vente-privee.com postérieures au 16 janvier 2009 doivent être prises en comptes, au même titre que celles qui lui sont antérieures ;

Considérant que, par ailleurs, l’article L711-2, dernier alinéa n’exclut pas la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les signes intrinsèquement dépourvus de ce caractère dans les cas prévus aux a) et b) ; qu’en outre, en l’espèce, ni le caractère nécessaire du terme « vente privée » pour désigner ce qui constitue en réalité des ventes événementielles, ni le caractère générique de la marque verbale « VENTE-PRIVEE.COM » ne sont constitués, de sorte qu’il ne peut être valablement soutenu que l’appropriation de ce dernier signe porte une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales d’entreprise et d’expression ;

Considérant qu’il appartient à la société Vente-privee.com d’établir la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée, à titre de marque – soit pour identifier les produits et services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée – du signe « VENTE-PRIVEE.COM », notamment par « la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque (..) » (CJCE, 4 mai 1999, C-109/97, Windsurfing Chiemsee) ; qu’à cet égard, il y a lieu de rappeler que la CJUE a précisé que « le caractère distinctif d’une marque visé à l’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec elle » (07 juillet 2005, C-353-03, Nestlé) ;

Considérant qu’elle justifie notamment d’un tel usage :

  • par l’apposition de la mention « Prix vente-privee.com » aux côtés de chacun des millions de produits proposés à la vente sur son site internet,
  • par son utilisation dans les courriers électroniques d’invitation adressés quotidiennement à ses 20 millions de membres (« Christophle (..) By vente-privee.com », »vente-privee.com vous présente », etc.),
  • dans la présentation de ses services dans la presse écrite et dans la presse en ligne (« vente-privee.com, affaires à saisir »…),
  • dans sa citation orale dans les médias, par des journalistes ou dans le cadre de publicités,
  • par l’usage, dès avant leur enregistrement (cf factures à compter de 2001), de ses marques complexes « vente-privee.com » dont le signe litigieux constitue le seul élément verbal, et donc – à ce titre – principal, les éléments graphiques de couleur rose consistant dans un trait et dans la représentation de trois papillons, bien que contribuant au caractère distinctif de ces marques, n’assurant qu’une fonction décorative ou esthétique, que le public pertinent, en l’occurrence le consommateur d’attention moyenne, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, reconnaîtra sans doute, mais ne gardera pas nécessairement en mémoire ;  Qu’il n’est pas contesté que la société Vente-privee.com, dont la seule activité est toujours identifiée sous le signe éponyme, est en première position sur le marché des ventes événementielles sur internet en France, dont elle détient près de 90 % de parts ; que l’importance de son chiffre d’affaires (passé de plus de 300 000 000 € HT en 2007 à 1,6 milliards d’ euros TTC en 2013), de l’audience de son site internet (placé depuis 2005 parmi les 15 sites marchands les plus visités en France) et du nombre de ses membres (11 millions en France en 2011), témoignent de l’intensité et de l’étendue de son activité et, partant, de l’exploitation du signe litigieux, qui n’ont fait que croître depuis le lancement de l’activité en 2001 ; qu’elle justifie d’investissements considérables pour des actions de promotion et de publicité dans toutes sortes de médias ; que la notoriété du site internet Vente-privee.com est mesurée par un sondage Sofrès de 2006 (un cyber-acheteur sur trois le connaît, une étude Direct Panel de 2008 (cité spontanément par plus d’un acheteur en ligne sur cinq et connu par près de six sur sept d’entre eux) et un sondage LH2 de mars 2014 (76 % des cyber-acheteurs le connaissent, comme 55 % du grand public) ; qu’il en est de même pour sa marque, figurant parmi « les marques préférées des français », selon un sondage Capital-BVA-Leo Burnett, Capital de juillet 2011 ; qu’il s’en déduit qu’une « fraction significative » du public concerné perçoit la marque « VENTE-PRIVEE.COM » comme identifiant les services de vente au détail de produits ou services d’origines diverses désignés par elle comme provenant d’une entreprise déterminée, en l’occurrence la société Vente-privee.com ;

Qu’ainsi, cette marque avait indéniablement acquis par l’usage, dès la demande de nullité, un caractère distinctif au regard des services de promotion des ventes pour le compte des tiers, de présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail et des services de regroupement pour le compte de tiers de produits et de services, notamment sur un site Web marchand, désignés à l’enregistrement ;