Facebook : Petites injures entre amis … le comportement reste punissable !

12:01 03 juin in Numérique

Facebook : Petites injures entre amis ... le comportement reste punissable !

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2013 – par Michaël Malka

Les Juridictions prud’homales ont maintenant l’habitude de ce genre d’affaires : un salarié s’épanche sur les réseaux sociaux en des termes injurieux à l’encontre de son employeur ; celui-ci l’apprend et sanctionne le salarié, le plus souvent par un licenciement, comme vient d’en faire les frais un célèbre animateur télé un peu trop porté sur le tweet …

Bien qu’il soit parfaitement acquis que la liberté d’expression du salarié ne l’autorise pas à diffamer ou injurier son employeur, même en dehors de l’entreprise, ce type d’affaire donne habituellement lieu, dans les enceintes judiciaires, à un vif débat sur le caractère public ou non des propos tenus par le salarié. Et pour cause, si le salarié parvient à démontrer que ses propos relèvent de la sphère privée, l’employeur peut être déclaré irrecevable à les invoquer et, par voie de conséquence, la sanction peut être annulée.

Cette joute oblige les juges à prendre la casquette de véritable technicien des réseaux sociaux afin d’en disséquer le mode de fonctionnement. Ainsi, dans un arrêt du 9 juin 2010, les juges de la Cour d’appel de Reims énoncent : « nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire ;(…); que le mur s’apparente à un forum de discussion qui peut être limité à certaines personnes ou non ; que Monsieur X évoque un accès bloqué à son profil sur Facebook à toute personne non souhaitée ; que toutefois en mettant un message sur le mur d’une autre personne dénommée «ami», il s’expose à ce que cette personne ait des centaines d’«amis» ou n’ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations (coordonnées, mur, messages, photos) ; que dans ces conditions, contrairement à ce qu’avance le salarié, il ne s’agit pas d’une atteinte à la sphère privée (…) ». Dans une autre affaire en date du 15 novembre 2011, les juges de la Cour d’appel de Besançon vont même jusqu’à expliquer ce que le salarié doit faire pour que ses propos soient considérés comme relevant d’une conversation privée : « il appartient … à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son «mur». »

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation vient de rendre un arrêt extrêmement intéressant le 10 avril 2013.

Il s’agissait ici d’une ancienne salariée qui était poursuivie par son employeur, après s’être répandue en injures à l’encontre de ce dernier sur des pages personnelles facebook et MSN. L’ancien employeur, qui sollicitait des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, s’est vu débouté par la Cour d’appel de Paris au motif que les propos litigieux n’étaient accessibles qu’aux « amis » ou « contacts » de la salariée licenciée.

La Cour de cassation va, dans un premier temps, approuvé le raisonnement suivi par la Cour d’appel de Paris qui, après avoir relevé que les propos « n’étaient accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, en nombre très restreint (…) lesquelles formaient une communauté d’intérêts », en a déduit que ces propos ne constituaient pas des injures publiques. Dont acte. La plus Haute Juridiction valide ainsi le raisonnement précédemment suivi par certaines juridictions du fond relativement au caractère restreint ou non de la diffusion d’un message au sein d’un réseau social.

Néanmoins, la Cour de cassation va tout de même casser, dans un second temps, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris au motif que cette dernière a statué, « sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, si les propos litigieux pouvaient être qualifiés d’injures non publiques ».

Pour bien comprendre, il convient de rappeler que l’injure, en droit, est définie comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Lorsqu’elle est publique, l’injure est un délit passible d’une amende de 12.000 €. En revanche, lorsqu’elle est proférée dans un cercle privé (injure non publique), elle constitue une contravention de première classe passible d’une amende de 38 €. Dans les deux cas, l’injure est une infraction pénale, certes à des degrés divers, mais ouvrant droit dans tous les cas à des dommages et intérêts. Telle est la raison pour laquelle la Cour de cassation a censuré la Cour d’appel de Paris qui est finalement allée un peu vite pour débouter l’ancien employeur de sa demande de dommages et intérêts.

Cette décision est importante car, contrairement à ce qu’on pu en retenir certains commentateurs, elle ne valide nullement l’idée qu’il est possible d’injurier impunément quelqu’un sur facebook ou MSN, pour autant que son profil soit verrouillé à ses seuls amis. Bien au contraire, la Cour suprême rappelle que, publique ou non, une injure reste susceptible de sanctions civiles et pénales. Aussi, l’injure non-publique, après avoir été sanctionnée par la Juridiction pénale, pourrait parfaitement asseoir une décision de licenciement… Restera à déterminer comment l’employeur s’est procuré la preuve de l’infraction. S’il n’y a pas eu d’ingérence déloyale dans la vie privée ou dans le secret des correspondances, le salarié pourra être valablement sanctionné. Par conséquent, sauf à faire une confiance aveugle à ses cybers amis, le salarié aura intérêt à tourner sept fois son pouce avant de cliquer…

Article paru dans le magazine Forum Eco du 3 juin 2013

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