Projet de loi DADVSI et logiciels libres : un équilibre (re)trouvé ?

15:20 06 janvier in Numérique

Projet de loi DADVSI et logiciels libres : un équilibre (re)trouvé ?

Paru sur legalbiznext le 5 janvier 2008

Après moults rebondissements, les députés ont définitivement adopté, le 21 mars dernier, le projet de loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI).

L’enjeu particulièrement important de ce texte a suscité des débats passionnés entre les députés. La future loi a pour objet d’harmoniser, sous l’impulsion d’une directive européenne, la protection des droits d’auteur et des droits voisins à l’heure où l’accès à l’immatériel ne cesse de se démocratiser. La question du téléchargement d’œuvres protégées via les réseaux peer-to-peer (P2P) a donc logiquement pris une place prépondérante au cœur des débats. Le Gouvernement a clairement affiché sa volonté de protéger les auteurs contre le pillage de la création artistique auquel aboutit, selon certains, le développement de ces réseaux. Or, parmi les mesures proposées pour lutter contre le P2P, certaines ont provoqué de vives protestations dans le monde des éditeurs de logiciels libres, obligeant le gouvernement à modifier son texte.

Protection juridique des MTP ou DRM

Le premier point d’achoppement concernait la protection juridique des mesures techniques de protection (MTP) ou DRM (digital management rights) qui sont des logiciels permettant de contrôler l’usage privé des œuvres numérisées en limitant leur utilisation ou en assurant leur traçabilité. Le projet DADVSI accorde une protection pénale à ces MTP en sanctionnant toute personne qui parvient, à des fins autres que la recherche, à « contourner, neutraliser ou supprimer » un tel mécanisme soit par ses propres moyens, soit en éditant ou distribuant une solution de contournement (article 13 du projet). Cette disposition qui, à l’origine, ne prévoyait aucune exception a fait pousser des cris d’orfraie dans la communauté de l’Open Source. Et pour cause, les mesures de protection sont des logiciels dits « propriétaires » dont les codes sources ne sont bien évidemment pas rendus publics. A l’inverse, les logiciels libres sont des logiciels dont les conditions d’utilisation confèrent un droit d’usage, de modification, de rediffusion et de réutilisation, ce qui implique nécessairement la disponibilité du code source. Dès lors, une telle disposition aurait abouti à exclure les auteurs de logiciels libres de segments de marchés très porteurs (lecteur multimédia, serveurs de streaming vidéo, etc…) en les privant de la possibilité d’adapter leurs créations à ces nouvelles contraintes. Ainsi, la Free Software Foundation France affirmait-elle en novembre dernier que « publier des logiciels libres permettant d’accéder à la culture deviendrait un délit de contrefaçon ». Les députés, sensibles à ces préoccupations, ont donc voté, in extremis, une série de dispositions donnant à la loi, il faut bien le dire, des allures de patchwork… L’article 13 du projet définitif prévoit désormais, à la suite de la litanie des peines encourues en cas de contournement d’une MTP, que « ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins de recherche, d’interopérabilité ou de sécurité informatique ». De même, l’article 7 du projet dispose que l’« on ne peut pas interdire la publication du code source et de la documentation technique d’un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d’une œuvre. » Cette dernière disposition devrait donc préserver les intérêts des éditeurs de logiciels libres dans le domaine de l’utilisation des œuvres de l’esprit. Il restera néanmoins à définir quels sont les usages devant être considérés comme licites ou non.

Amendement « Vivendi Universal »

La seconde difficulté portait sur les termes d’un amendement, appelé amendement Vivendi Universal par ses détracteurs, qui incrimine le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés » (article 12 bis du projet définitif). Cette disposition, qui vise au premier chef les éditeurs de logiciels peer-to-peer, a dû être remaniée à de maintes reprises. La communauté du logiciel libre s’est en effet émue du caractère trop général de cette incrimination qui aurait pu avoir pour conséquence de restreindre la création intellectuelle dans le domaine du logiciel. Les députés ont ainsi voté un dernier alinéa à l’article 12 bis précisant que « ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur ». Il n’en reste pas moins que cette nouvelle infraction sanctionnée par des peines de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende demeure vivement critiquable. Les travaux parlementaires montrent que le législateur a voulu s’inspirer de la jurisprudence des Cours suprêmes américaine (RIAA vs Grokster) et australienne (ARIA vs Kazaa) ayant récemment condamné des éditeurs de logiciels peer-to-peer du fait de leur création. Cependant, incriminer le logiciel per se et non l’usage qui en est fait est extrêmement pernicieux. Cette situation aboutit à faire assumer par les logiciels et leurs créateurs la responsabilité des actes illicites commis par les utilisateurs de ces logiciels. Ce type d’infraction met en lumière une dérive de notre droit de la responsabilité qui consiste à hypertrophier la responsabilité des uns pour minimiser celle du plus grand nombre. Cette dérive est d’autant plus critiquable lorsque l’on se situe, comme en l’espèce, en matière pénale. Rappelons que l’un des principes fondamentaux en cette matière est que « nul n’est responsable que de son propre fait » (art. L121-1 du Code pénal). Incriminer un logiciel en raison des utilisations qui en seront faites semble difficilement conciliable avec ce principe. De même, la loi vise les dispositifs « manifestement » destinés à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres protégées. Mais comment faire la distinction entre un logiciel de partage licite et un logiciel illicite ? Au nombre de fichiers illégaux échangés sur le réseau ? Si oui, comment identifier tous les fichiers dont le nombre se compte en millions? Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale s’accommode mal de ce genre d’adverbe qui laisse planer un doute sur ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas. Il résulte de cette situation une certaine insécurité juridique pour les auteurs de logiciels (propriétaires ou libres), laquelle pourrait avoir des conséquences nocives sur l’innovation dans ce domaine.

L’examen du texte par le Sénat, puis, vraisemblablement par le Conseil constitutionnel, permettra-t-il de dissiper ces incertitudes en matière de responsabilité juridique des logiciels ?

Affaire à suivre…

 

Michaël MALKA
Avocat à la Cour,
Chargé d’enseignement à l’ESC.