Impact de la crise sanitaire sur la procédure pénale

Impact de la crise sanitaire sur la procédure pénale

14:50 14 avril in covid-19, Non classé, procédure pénale

Afin de faire face à la crise sanitaire induite par la pandémie de covid-19, le Gouvernement a adopté 25 ordonnances le 25 mars 2020 en application de la loi d’habilitation n°2020-290 du 23 mars 2020.

L’ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale.

Vous trouverez ci-dessous une analyse synthétique des dispositions de ce texte :

 I – Les dispositions générales

1°) Suspension des délais de prescription de l’action publique et de la peine (article 3)

Il s’agit d’une suspension et non d’une interruption, de sorte que le délai ayant déjà couru n’est pas effacé.

La suspension commence au 12 mars 2020 et prend fin un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Cette suspension était déjà impliquée par l’article 9-3 du code de procédure pénale qui prévoit la suspension de la prescription en cas de force majeure.

En effet, la jurisprudence, de son côté, a également admis l’arrêt du cours de la prescription en cas de circonstances insurmontables (catastrophe naturelle, occupation militaire).

2°) Délais et exercice des voies de recours (article 4)

Les délais sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours, à l’exception du délai de quatre heures imparti par l’article 148-1-1 du code de procédure pénale. Ainsi, le délai de pourvoi qui est de cinq jours, est porté à dix jours. En matière de presse et d’exécution d’un mandat européen, le délai qui n’est que de trois jours, passe donc à dix. Sous cette réserve, les délais conservent leur nature: franc pour le délai de droit commun et l’exécution d’un mandat européen; non franc pour le droit de la presse. Dans le silence des textes, cette disposition ne rétroagit pas au 12 mars 2020, à la différence de ce qui est prévu pour la matière civile par l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020. Pour la période intermédiaire séparant le 16 mars 2020, date de fermeture des tribunaux, de l’entrée en vigueur du texte, il est permis de se prévaloir de la force majeure ou d’une circonstance insurmontable résultant de l’impossibilité d’accéder au greffe. Les modalités d’exercice des voies de recours sont assouplies, ainsi que celles concernant le dépôt des demandes, conclusions ou mémoires devant les juridictions pénales. Peuvent être exercés par lettre recommandée ou par courriel à l’adresse électronique communiquée à cette fin:

-L’appel et le pourvoi en cassation;

-Les demandes prévues à l’article 81 du Code de procédure pénale.

Les courriels sont considérés comme reçus à la date d’envoi de l’accusé de réception par la juridiction.

3°)Généralisation du recours à la visio-conférence (article5)

L’urgence sanitaire peut justifier le recours à la visio-conférence sans le consentement des parties. Le Conseil constitutionnel l’avait déjà admis (Cons. const., 6septembre 2018, n° 2018-770 DC). Elle est seulement exclue en matière criminelle.

 II –Dispositions relatives à la compétence et à la publicité des audiences

1°) Transfert d’attribution d’une juridiction à une autre en cas d’impossibilité de fonctionner(article 6)

2°) Recours à la publicité restreinte ou au huis clos

L’ordonnance donne au Président d’une cour d’assises, d’un tribunal correctionnel ou de police, voire d’une chambre de l’instruction et au juge des libertés et de la détention, le pouvoir de restreindre la publicité à certaines personnes ou d’ordonner le huis clos, tant lors des débats que lors du prononcé de la décision.

Dans ce dernier cas, l’ordonnance prévoit que le dispositif de la décision est affiché sans délai dans un lieu de la juridiction accessible au public. Dans les conditions déterminées par le président, des journalistes pourront toutefois assister aux audiences à huis clos, ce qui constitue une petite fenêtre de publicité.

III –Dispositions relatives à la composition des juridictions

L’ordonnance modifie également la composition des juridictions par les articles 9, 10 et 11, alinéa 1er, sous la condition d’un décret constatant la persistance d’une crise sanitaire de nature à compromettre le fonctionnement des juridictions. Elle élargit la possibilité de statuer à juge unique pour la chambre de l’instruction, le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, la chambre spéciale des mineurs, ainsi que le tribunal et la chambre de l’application des peines. Toutefois, le président peut décider de renvoyer l’affaire à «une» formation collégiale si ce renvoi lui paraît justifié par la complexité ou de la gravité des faits.

IV –Dispositions relatives à la garde à vue et à la rétention douanière

L’ordonnance prévoit que l’entretien de l’intéressé avec son avocat et l’assistance de la personne au cours de ses auditions peuvent avoir lieu par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dès lors que la confidentialité des échanges est garantie (art. 13). Il semble surprenant que l’accord de l’avocat ne soit pas requis.

L’ordonnance permet également la prolongation de la garde à vue des suspects d’infractions en bande organisée ou mineurs de 16 à 18 ans, sans que la personne soit présentée devant le juge.

V –Détention provisoire

Pour ce qui concerne les détentions provisoires en cours ou débutant du 26 mars 2020 à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, l’ordonnance prolonge de plein droit les délais maximum de détention ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, tant pour les détentions au cours de l’instruction que pour les détentions en vue de l’audiencement de l’affaire des personnes renvoyées devant la juridiction de jugement ou en instance d’appel (art. 16).

Cette prorogation s’applique aussi « aux mineurs de plus de 16 ans en matière criminelle ou s’ils encourent une peine d’au moins sept d’emprisonnement».

Les délais d’audiencement de la procédure de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire sont également allongés (art.17). Ces dispositions semblent peu admissibles: des présumés innocents restent sans espoir de libération durant le temps de leur «confinement» forcé alors que les conditions sanitaires en détention sont connues de tous. Ce constat est d’autant plus alarmant que les délais pour statuer sur une demande de mise en liberté, sur l’appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté ou sur tout autre recours concernant une personne placée en détention provisoire et d’assignation à résidence avec surveillance électronique ou de contrôle judiciaire, sont également rallongés (art. 18 et 19).

Les délais impartis à la Cour de cassation pour statuer sont allongés (art.20).

VI –Dispositions relatives à l’affectation des détenus et à l’exécution des peines privatives de liberté

Exception faite notamment des condamnés pour des faits de terrorisme, l’ordonnance facilite les réductions de peines, de sortie sous escorte, de permissions de sortir et de libération sous contrainte, qui pourront être décidées sans que la commission de l’application des peines soit consultée, sous réserve que le procureur de la République émette un avis favorable (art. 25). L’ordonnance simplifie également la suspension et le fractionnement de peines pour des raisons sanitaires et médicales (art. 26).

VII –Dispositions pour les mineurs poursuivis ou condamnés.

Le juge des enfants peut d’office, et sans audition des parties, proroger le délai d’une mesure de placement ordonnée en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante pour une durée qui ne peut excéder quatre mois (art. 30). De même les autres mesures éducatives ordonnées en application de cette ordonnance peuvent être prolongées pour une durée qui ne peut excéder sept mois. Le principe du contradictoire est donc méconnu en matière d’enfance délinquante.